Kylian Mbappé publie son roman graphique, je suis Kylian, en autoédition. Et ça ne plaît pas à tout le monde. |
Jusque là, l'autoédition était le pis-aller d'auteurs inconnus, las d'attendre en vain les réponses des grandes maisons d'édition, une forme de maladie honteuse. On observe désormais le commencement d'un mouvement de plumes célèbres vers ce mode de publication.
Largué par Albin Michel, Eric Zemmour a choisi de se lancer tout seul pour publier La France n'a pas dit son dernier mot, qui cartonne en librairie. Avant lui, Joël Dicker, romancier suisse avait plaqué Bernard de Fallois pour lancer sa marque. Des auteurs vedette de chez Ring, Laurent Obertone, Papacito et Marsault ont annoncé avant l'été se séparer de cette maison...
On savait que l'autoédition était un tremplin pour les plumes en devenir, à l'instar d'Anna Gavalda, de Jacques Vandroux ou de Muriel Barbey, elle apparaît aujourd'hui comme un refuge, ou la solution d'un nouveau départ.
Papacito, le youtubeur préféré de Jean-Luc Mélenchon, et Julien Rochedy, autre influenceur et auteur politique, signent à quatre mains "Veni vidi vici, menace sur les gauchistes", sous un label indépendant. Le premier tirage en a été épuisé en à peine une semaine.
Le dernier venu dans cet univers fourmillant est Killian Mbappé, la star du foot tricolore qui édite seul son premier roman graphique, "Je m'appelle Kylian" ; et ça ne plaît pas à tout le monde.
Renaud Dubois, patron de la maison Amphora "l'éditeur des sportifs" se fend en effet d'une lettre ouverte au footballeur pour lui manifester son incompréhension.
A votre bon cœur !
On peut partager sa peine : il voit passer sous son nez et sous celui de ses confrères un coup d'édition garanti doré sur tranche. M.Dubois explique donc à Kiki, avec un peu de condescendance, que le métier d'un éditeur consiste à donner sa chance à des auteurs inconnus et qu'il a besoin pour cela de signer des vedettes qui lui rapporteront le pactole. Il regrette donc que l'attaquant du PSG n'apporte pas sa contribution à la machine éditoriale, à laquelle la nature généreuse du sportif aurait dû contribuer.
C'est bien dit et beaucoup d'auteurs qui n'ont pas même reçu le début d'une réponse des grands éditeurs aimeraient bien en être convaincus comme lui. On constate toutefois - et loin de moi l'idée de mettre en cause la sincérité de cet éditeur en particulier - que la plupart de ses confrères privilégient sans vergogne les thématiques en vogue, les petits auteurs qui ont déjà réussi, les copains de copains et les pourvoyeurs de best-sellers. C'est légitime, il s'agit de business...
Un marché qui se reconstruit
Tout ceci n'aurait que peu d'importance si la surproduction littéraire des ogres de papier ne saturait les rayons des libraires avec une stratégie d'occupation systématique et de contrainte.
Vu du côté d'un autoédité, ces récents choix d'indépendance sont le signe d'un frémissement du marché et des pratiques éditoriales. Dans le même temps, les libraires ont fait voter une loi imposant aux gros vendeurs en ligne (Amazon, plus particulièrement) d'appliquer des tarifs égalitaires. La filière va mal et le renouveau du métier fait trembler les fortins.
Tout ce joli monde se drape dans les vertus du pluralisme et de la noblesse de leur profession... Nul ne doute que ces augustes pensées ont inspiré Albin Michel quand il a été décidé de ne plus publier Eric Zemmour. Et ce sont, sans aucun doute, ces mêmes motifs qui dictent aux grandes librairies de snober les jeunes talents sans éditeur et à certains de refuser l'accès à leurs rayons pour cause de malpensance.
Le vent tourne et, à ce rythme, le chiffre d'affaires des libraires devra bientôt plus à des autoédités qu'aux grosses compagnies du livre. A moins que le business du livre ne leur échappe finalement pour de bon, si ce n'est à tous, au moins à ceux qui n'auront pas su anticiper le changement, parce qu'il en existe qui ont bien compris que l'immense créativité du monde de l'autoédition propose aussi des pépites.